Quel est ton rapport à Hong Kong?
En 2013, j’ai été invité par Amandine Hervey (Mur Nomade) au festival Le French May, afin de participer à une performance quinze jours durant. Il me fallait dessiner, improviser dans l’espace de la galerie Osage, en binôme avec l’artiste Tsang Chui Mei. Depuis, j’expose régulièrement là-bas et y retourne dès que cela m’est possible. Curieusement, à peine mes pieds ont foulé le sol d’Hong Kong que je me suis senti à l’aise, comme chez moi. Cette ville, très propre en surface, reste toutefois suffisamment crade pour évoquer notre pays. On retrouve certaines attitudes très latines chez les Hongkongais et l’on en découvre d’autres, incompréhensibles pour les européens. Il faut du temps pour se tenter à une explication. Comme dans l’art, j’aime les contrastes, or à Hong Kong ils sont à chaque coin de rue. Lorsque je parle de « contraste », je pense le mot au sens large du terme, qu’il soit sociologique, politique, visuel, architectural, économique, physique, météorologique, qu’il concerne l’espace, la densité etc. Éprouver une telle ville est une expérience très forte de par ses contrastes justement. Je parle également d’épreuve, car la vitesse de la ville t’emporte automatiquement dans cette énergie et cet empressement. Pour un créatif, ces coups d’électricité frénétiques peuvent être positifs. En tout cas je les ressens ainsi, même si cette ville est capable de tuer celui qui oublierait de prendre l’air de temps en temps.
Étais-tu présent lors des premières manifestations à Hong Kong ?
Je suis arrivé le 1er novembre 2014, soit un mois après qu’elles aient commencé. Je me suis rendu, dès le lendemain, sur le site d’Admiralty (un lieu occupé par la majeure partie des manifestants, permettant de bloquer une importante artère qui mène au centre-ville) en face du siège du gouvernement. C’était fascinant de me retrouver au milieu d’une dix voies sans la moindre voiture à l’horizon. L’endroit était calme, entouré de buildings reluisants et high-tech, jonché de tentes pour que les manifestants puissent se relayer jour et nuit afin de garder la route. En déclinant les motifs du parapluie et du ruban jaune, les gens se sont mis à créer des objets, à peindre, à dessiner, à sculpter. C’était très peace and love voire même candide. Il paraît improbable qu’ils ne se soient pas fait virer plus tôt. En tant que Français, pouvons-nous concevoir de planter nos tentes et d’occuper l’avenue des Champs Elysées dans un élan de protestation ? Et ce pendant des mois ? Je suppose que l’armée aurait été envoyée en moins de deux jours. C’est à partir de là que j’ai cherché à comprendre comment une telle chose était possible. Le soir du 30 novembre, les manifestants d’Admiralty se sont rassemblés avec la ferme intention de prendre la deuxième artère, située derrière le siège du gouvernement. Là, je dois avouer que je n’ai pas rigolé, surtout sans badge de journaliste. Lorsque, d’un coup, tous les manifestants en masse se mettent à courir dans le même sens, en criant des mots qui appartiennent à une langue que tu ne connais pas, que des parapluies s’ouvrent au loin en guise de protection contre les gaz et que, quelques minutes plus tard, des gens reviennent en suffoquant, tu y es, tu te rends compte soudainement que Hong Kong appartient à la Chine, que la police répond aux ordres du gouvernement et ce sentiment est particulièrement étrange. Je me suis toujours senti aussi libre à Hong Kong que dans n’importe quelle démocratie, sauf que…
Comment les choses ont-elles démarré d’après toi ?
Je vais parler de ce que j’ai entendu dire de la bouche des Hongkongais, puis j’évoquerai également mon propre sentiment, sachant toutefois que je n’étais pas là au tout début. Hong Kong est la ville la plus sûre du monde. La violence est inexistante – sauf entre triades, mais les civils n’y sont pas mêlés – et la police est exemplaire. De fait, ce fut pour moi un choc d’assister à une telle violence quand la police a balancé les gaz lacrymogènes, et ce fût aussi, je crois, un choc pour la communauté internationale. La Chine a flippé et a mal réagi face aux premières vraies manifestations hongkongaises. Elle a voulu stopper net toute revendication par la force, de peur que la révolte étudiante fasse boule de neige dans l’ensemble du pays et ce fût là son erreur. J’ai entendu dire, à de nombreuses reprises, que si la police n’avait pas utilisé la violence, ces rassemblements n’auraient jamais duré plus d’une semaine, ce qui est fort probable. Le gouvernement chinois a voulu montrer qui commandait. Seulement, les Hongkongais ne sont pas Chinois. Seule la ville d’Hong Kong est chinoise et c’est là le nœud du problème. Hong Kong est une ancienne colonie britannique. Or, toute colonie rencontre ce même problème de crise identitaire. Au-delà d’une envie de démocratie et de suffrage universel, j’ai davantage ressenti la revendication d’une identité ou de valeurs hongkongaises, nettement différentes de celles des Chinois. De plus, nombre de jeunes partent étudier à l’étranger, dans les pays anglo-saxons, et se sentent forcément en décalage avec la Chine, puisqu’à Hong Kong rien n’entrave la liberté d’expression, aucun site internet n’est bloqué, la politique de l’enfant unique n’existe pas… comme chez nous quoi ! Cependant, nous connaissons la fin de l’histoire, il n’y aura pas d’échappatoire possible. HK reviendra à la Chine quoi qu’il advienne.
Depuis, les évènements sont bien moins médiatisés. Que se passe-t-il ?
Les manifestations se sont terminées dans le calme autour de la mi-décembre. Tout le monde était épuisé, les manifestants comme les anti-occupy – riverains et commerçants soutenus par le gouvernement. La police a fermé les sites au public afin de les nettoyer. Les quelques irréductibles manifestants et leaders, ne voulant pas partir, ont demandé à être arrêtés pour aller jusqu’au bout de leurs responsabilités. Ils ont finalement tous été libérés peu de temps après. C’était un moment particulièrement émouvant de voir éclater cette bulle poétique. Je dis « poétique » car je ne crois pas aux révolutions sans guerre ni morts. Toutefois, ils ont essayé. Ces évènements ont profondément marqué les gens et probablement le gouvernement. Les Hongkongais sont quelques peu divisés désormais, entre ceux qui disent qu’il n’y a rien à faire et qu’il est donc stupide de protester, et les pro-démocratie qui disent que ce n’est pas parce que l’on sait que l’on va se faire violer qu’il faut écarter les jambes. Que reste-t-il de tout ça ? Des œuvres d’arts préservées qui signent une page de l’histoire hongkongaise ainsi que des questions philosophiques et politiques. Ce n’est pas si mal.
Comment cet évènement va-t-il impacter ton travail artistique ?
Il est trop tôt, je crois, pour que je puisse le savoir. Il y a quelque chose de pur à voir des gens qui créent par nécessité. Se battre sans violence par le biais de l’art est enfantin, évidemment, mais toute la beauté découle de cette naïveté. Lutter contre des moulins à vent, en étant conscient de l’utopie à laquelle on fait face est une position politique qui me plaît et qui paradoxalement me paraît être le signe d’une grande maturité. Cela m’a fait du bien d’assister à cela et m’a probablement permis de me recentrer sur l’essentiel. La création ne devrait pas être une chose, mais une nécessité.
As-tu le projet d’exposer tes clichés ?
Non, je ne souhaite pas tirer profit de cette révolution. Les photos sont en libre téléchargement sur Facebook. Du moment qu’elles ne sont pas utilisées à des fins commerciales, je préfère qu’elles circulent. J’ai eu l’opportunité de vivre ce moment, je veux simplement le partager avec qui le souhaitera. En revanche, durant les trois mois que j’ai passé là-bas, j’ai commencé une série de photos sans rapport direct avec les manifestations, mais s’intéressant plutôt à la vie dans les grandes villes, à ses contrastes. Il est possible que ces évènements aient modifié ma perception du pays. Je pourrai en dire davantage dès que le projet sera plus avancé, mais quelques clichés sont déjà publiés sur ma page Facebook dédiée à la photo. Par ailleurs, en fin d’année, je participerai à une exposition de groupe à la Galerie Domi Nostrae.
Propos recueillis par Philippe Deschemin
L’Incontournable Magazine N°13 – Mai – Juin 2015
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