Après avoir raté le concours d’une école de cinéma – la FEMIS – j’ai intégré une école de journalisme à Bordeaux qui formait des JRI, des journalistes reporteurs d’images. On était peu nombreux à l’époque à avoir cette double qualification – journaliste et caméraman – et l’on trouvait facilement du travail à la télévision. Une fois que j’ai mis le pied dans cet univers, j’ai pu observer de près son fonctionnement. Rapidement, j’ai trouvé intéressant de faire part de ce que je voyais, de ce que j’entendais, de ce que j’observais de l’intérieur. Voilà comment je me suis retrouvé à travailler « sur » la télévision ou plutôt sur le monde du journalisme télévisé.
Certains peuvent s’imaginer qu’il s’agit d’une vendetta contre une corporation dans laquelle vous n’auriez pas trouvé votre place. Qu’en est-il ?
Il ne faut pas renverser l’ordre des choses : si vendetta il y a, c’est de la part de la télévision à mon encontre et non pas de mon fait ! Depuis 1998, depuis que je suis persona non grata à la télévision, après la sortie au cinéma de « Pas vu pas pris », mon premier long-métrage critiquant la télévision, j’ai toujours proposé mes projets de documentaires – sur Bourdieu, sur la critique du salariat – aux gens de télévision. Mais ils n’en ont pas voulu. Et ils m’en ont voulu d’avoir mordu la main qui me nourrissait. Aujourd’hui encore les gens qui commandent les documentaires ne voient pas d’un bon oeil mon travail. Gilles Perret, le réalisateur des Jours heureux, le film qu’il vient de réaliser sur l’histoire du Conseil National de la Résistance, me racontait que lorsqu’il avait présenté son projet à la chaîne Public-Sénat, la responsable des documentaires lui avait dit qu’elle pourrait être intéressée mais à condition de ne pas faire » du Pierre Carles « . Il y a deux ans, un membre de l’équipe de l’émission de Frédéric Taddeï » Ce soir ou jamais « , me disait que la simple évocation de mon nom dans les réunions de préparation de l’émission provoquait une gêne ou un grand silence. De fait, je suis persona non grata dans cette émission. Bref, l’omerta ou la vendetta, c’est le petit écran qui le pratique, pas l’inverse.
Votre page Wikipédia indique que vous avez travaillé pour Télé Lyon Métropole en début de carrière et que vous auriez été licencié pour faute grave en raison de votre impertinence. Qu’en est-il ?
J’avais réalisé un sujet sur la convalescence d’une skieuse française mais où il était également question des engagements politiques du PDG de la chaîne lors des élections municipales, sachant qu’il soutenait une liste d’extrême-droite à Bron. Mon sujet a déplu et je me suis fait licencier.
En 1992 vous avez réalisé un reportage au sujet de la fausse interview de Fidel Castro faite par PPDA et Régis Faucon. Pouvez-vous nous remémorer l’affaire et nous dire selon vous comment des actes d’une telle gravité ont pu rester sans conséquences sur la carrière des deux hommes ?
Tout a déjà été dit sur cette affaire. Je n’ai pas envie de radoter ou de jouer une fois de plus les anciens combattants.
Vous avez réalisé plus d’une dizaine de documentaires, aujourd’hui comment se passent la réalisation et les financements ?
Difficilement.
Pour en revenir à nos confrères, comment expliquez-vous la mauvaise foi étonnante dont ils font preuve lorsque vous leur posez des questions concrètes sur les choix éditoriaux. Je pense à Pas vu pas pris, ou plus près dans le temps à Hollande, DSK, etc. Jean Michel Apathie et Nicolas Demorand dans ce documentaire sont époustouflants.
Ou plutôt pathétiques, non ?
Qu’est-ce qui cloche avec les médias ?
Vous voulez dire « dans les médias » ? Beaucoup de choses. Mais je ne vais pas le détailler ici, ça prendrait des heures. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai réalisé plusieurs films sur le sujet. Le dernier en date : Hollande, DSK, etc.
Si plus personne ne parle de la lutte des classes, est-ce parce que c’est un combat dépassé ?
Vous rigolez ?
Par Philippe Deschemin
L’incontournable Magazine N°6
Janvier-Février 2014